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La Googlisation est dans l’Entonnoir

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La couverture de l'entonnoirPour conclure le dossier sur la société de la requête, il semblait important de montrer que les réflexions sur Google sont assez nourries en France et qu’elles ne se résument pas, loin de là, au pamphlet de Jean-Noël Jeanneney, comme l’estimait Geert Lovink.

La publication de L’entonnoir, aux éditions C&F, réunissant plusieurs contributions de chercheurs provenant essentiellement des sciences de l’information et de la communication, est un condensé de quelques-unes des nombreuses interrogations qui agitent l’univers de la recherche quand on évoque Google. Il nous a semblé intéressant de vous en livrer l’introduction qui donne un bon aperçu de la richesse de son contenu, notamment en questionnant la notion de la pertinence du moteur ou en analysant le discours que porte Google sur lui-même.

Comme le dit Hervé Le Crosnier, éditeur et préfacier de l’ouvrage : “La formation du citoyen du vingt-et-unième siècle passe par le décryptage des processus de condensation des méga-entreprises du web, non pour les mettre de côté, ce qui est impossible, il faut et il a toujours fallu des filtres à information pour éviter la noyade, mais plus simplement pour les mettre “à leur place”.” Comprendre Google, décoder les projections mentales de l’entreprise et nos propres représentations, sont nos premières armes pour donner place au recul critique nécessaire pour comprendre l’évolution de la société de la connaissance.

Introduction à l’Entonnoir

Depuis leur avènement au milieu des années 1990, les moteurs de recherche commerciaux ont pris une place de choix dans les habitudes des internautes. Le succès rencontré par ces outils n’a cessé de se renforcer et oblige à l’analyse. La position hégémonique du moteur de recherche Google dans le paysage français et occidental, son positionnement particulier et le changement de modèle qu’il a imposé dans la recherche d’information en ligne en font un dispositif qui mérite d’être interrogé.

Cet ouvrage cherche à passer au-delà du fonctionnement intrinsèque des services de Google pour mettre en débat les valeurs qu’ils promeuvent et les pratiques dont ils font l’objet. Dans l’entonnoir de Google se joue à la fois la contraction de “tout le web” dans un champ de recherche unique, devenu indispensable, et la construction d’un discours auto-justificatif et moralisateur qui en retour inonde tout le web. Double circulation en entonnoir. Nous souhaitons au long des divers articles qui composent cet ouvrage rendre compte de phénomènes distincts et pourtant connexes.

Pour une partie des usagers, la méconnaissance des outils de recherche tend à objectiver les résultats fournis par Google. Ce phénomène nous semble lié à l’intelligibilité des typologies et techniques documentaires, des techniques (algorithmiques) stochastiques et à la surcharge informationnelle. De l’autre côté, nous avons des usagers désorientés par la déconstruction/reconstruction de leur univers documentaire. En cause la versatilité des services, des sources, des interfaces d’interrogation, rythmée par les rachats et les fusions d’entreprises et par l’évolution des techniques. Aussi, même si chacun des textes de l’ouvrage peut être lu indépendamment des autres, l’ensemble est agencé selon un fil rouge, une certaine progression entre une perte d’intelligibilité (flou cognitif) et une perte de repères (flou sémiotique).

Nous avons organisé les articles proposant les résultats de recherches en sciences de l’information et de la communication des universités françaises en trois parties : les pratiques, les méthodes et l’analyse du discours de Google. De l’usage de l’outil Google à la volonté de pouvoir de l’entreprise Google Inc.

Nous ouvrons l’ouvrage par une démonstration du flou cognitif des usages dans l’appréhension des outils de recherche d’information par le public estudiantin. Public intéressant à observer, puisqu’il constitue un échantillon parmi les personnes acculturées aux moteurs de recherche, qui plus est placées dans une situation d’acquisition de méthodologie de travail. Ceux qui arrivent à l’université de nos jours font un usage banalisé des moteurs commerciaux en ligne. À partir d’une enquête menée auprès d’étudiants de première année, Brigitte Simonnot cherche à cerner les représentations des outils chez ce public. L’enquête, comme d’autres menées ailleurs, montre la position hégémonique qu’occupe le moteur Google, plébiscité pour sa facilité d’usage et son côté intuitif. Cependant, le recours fréquent aux moteurs n’amène pas les étudiants à questionner les fondements d’une démarche informationnelle aboutie et n’améliore pas leurs connaissances info-documentaires. Il leur donne surtout une illusion d’autonomie dans ce domaine. Illusion entretenue par un manque d’intelligibilité des outils de recherche et des ressources documentaires. L’illusion constitue-t-elle un frein à la connaissance ? Les formations dispensées à l’université méritent d’être repensées pour promouvoir et approfondir les compétences info-documentaires et offrir aux étudiants des catégories permettant de mieux gérer, évaluer et maîtriser la densité d’information, d’acquérir une meilleure autonomie et ne pas laisser le moteur régler la sélection des sources à leur place.

Autre public dont l’observation peut se révéler charnière, celui d’une catégorie essentielle de spécialistes de l’information : les journalistes. Ils ont fait la part belle à la communication marketing du moteur dans leurs colonnes. Ils ne sont pas non plus les derniers à utiliser les moteurs de recherche dans leur activité professionnelle. Nicolas Pélissier et Mamadou Diouma Diallo interrogent la place grandissante qu’occupent les moteurs dans les pratiques journalistiques. Ils constatent la montée en puissance des sources électroniques par rapport aux sources traditionnelles – orales et imprimées – dans cette profession. À partir d’une série d’entretiens menés avec des journalistes d’un grand quotidien français, les auteurs évoquent des pratiques d’enquêtes de plus en plus sédentaires où les réseaux télématiques, qu’il s’agisse d’internet ou du téléphone, prennent une part grandissante. Chez les journalistes avec lesquels ils se sont entretenus, Google occupe une place de choix, mais, paradoxalement, ces professionnels de l’information semblent prendre peu de recul par rapport à leurs usages du moteur. Une fois de plus le flou cognitif s’installe et les formations des journalistes devraient prendre en compte cet aspect pour doter les futurs professionnels d’éléments méthodologiques et éthiques plus poussés dans ce domaine.

Au chapitre des méthodes, nous retrouvons au cœur la question de la formation. Alexandre Serres et Olivier Le Deuff font directement écho aux besoins de formation évoqués dans les deux précédents textes. Les auteurs interrogent principalement l’intelligibilité des moteurs de recherche, le flou cognitif dans lequel peuvent être plongés les utilisateurs. Mais plus généralement, ils soulignent qu’une formation aux outils de recherche doit s’appuyer plus largement sur le développement de la culture informationnelle. Les auteurs relèvent plusieurs “confusions sémantiques” induites par les moteurs qui participent à un “brouillage” des notions info-documentaires. Confusion entre les différentes approches de la pertinence : pertinence thématique ou topicale (relevance), pertinence-système calculée par agrégation ou conjonction de mesures statistiques, et pertinence-utilisateur, c’est-à-dire adéquation à un besoin d’information en contexte. Confusion entre mesure d’audience (affluence et fréquentation des sites) et influence. Confusion enfin entre autorité et popularité. Face aux enjeux sociopolitiques soulevés par les nouveaux infomédiaires machiniques que représentent les moteurs de recherche, ils plaident pour une nouvelle approche de la formation documentaire dans les universités et la mise en œuvre d’un véritable travail de réflexion sur la didactique de l’information.

Pour poursuivre sur cette voie, Olivier Ertzscheid, Gabriel Gallezot et Éric Boutin se penchent sur le fameux algorithme PageRank du moteur. Inspiré à l’origine par des indicateurs scientométriques, cet algorithme s’en est ensuite éloigné pour s’adapter à l’évolution des ressources en ligne. L’application de tels indicateurs à des corpus de documents aussi hétérogènes que ceux que l’on trouve sur le web visible pour évaluer leur pertinence documentaire par rapport aux requêtes des internautes ne va pas sans poser question. Les auteurs soulignent l’instrumentalisation du concept de pertinence par le moteur et son détournement au profit d’une logique marchande. Des situations de flou et d’ambiguïté s’installent, comprises entre une vision appauvrie de la réalité documentaire et une fuzzy search contrôlée. À l’origine de ces situations, des cultures informationnelles diverses et des pratiques documentaires variées qui relèvent d’un paradigme qui pourrait être celui de la sérendipidité. Pour réduire leurs propos, les usagers ont ou n’ont pas la possibilité ou la capacité de subjectiver leur recherche, du moins ne savent pas ou peu se défaire de l’”objectivation” imposée par les outils de recherche du web.

Ces pratiques et réflexions méthodologiques rencontrent un discours diffusé avec insistance par Google Inc. Nous passons de l’usage technique des ressources au positionnement économique et idéologique de l’entreprise. Les visées de celle-ci dépassent la promotion pour se placer comme référent dans l’imaginaire des usagers. C’est la construction d’un discours qui organise le flou sémiotique, au travers des mots, des concepts, de la communauté des usages et des implicites de l’interface qui sont passés au crible dans la troisième partie du livre.

Après avoir appréhendé les usagers des moteurs de recherche, souligné le flou cognitif qu’ils semblent entretenir et la nécessité de formation à une culture informationnelle capable de rendre intelligibles les outils de recherche d’information, Philippe Dumas et Daphné Duvernay rendent compte d’une dialectique entre usagers et concepteurs des moteurs. Le flou est ici dans la co-construction, à la fois cognitive et sémiotique : qui se sert de qui, en toute connaissance de cause ou par mimétisme ? Les repères sont brouillés ou du moins difficiles à démêler. Les auteurs procèdent à une analyse du googling, usage banalisé du moteur de recherche, en s’appuyant sur les travaux de Patrice Flichy définissant l’imaginaire technique. Dans une approche anthropologique, ils décortiquent certains mythes qui entourent Google et qui participent à la popularité du service qu’ils qualifient de postmoderne. Selon eux, par son cycle incessant d’innovations, le moteur transforme les internautes en usagers-concepteurs, ce qui est emblématique d’une nouvelle culture.

L’usager ne connaît du moteur que son interface, dans lequel il se perd comme sujet, comme avalé par le moteur. Avec Le grand avaleur (The Big Swallow), Jacques Araszkiewiez apporte une contribution riche et inédite par le biais d’une analyse sémiologique de l’interface du moteur de recherche Google. S’appuyant sur les travaux de Michel de Certeau et de Georgio Agamben, il mobilise le concept de dispositif socio-technique pour le caractériser. Son analyse sémiologique de la page d’accueil du moteur et de certains éléments des pages de résultats l’amène à qualifier l’énonciation du moteur de “voix moyenne”, entre le “je” et le “il”, “à mi-chemin entre l’actif et le passif”. Il discute à partir de cet exemple l’hypothèse de Georgio Agamben selon laquelle de tels dispositifs sociotechniques agiraient par des processus de désubjectivation. Enfin, l’auteur souligne qu’avec le web, les médias comme dispositifs ne sont plus seulement des représentations métaphoriques du monde mais ont une dimension métonymique, jetant en cela un flou sur notre réel.

Nouvelle culture, innovation ininterrompue, Céline Masoni-Lacroix et Paul Rasse montrent que le discours de la société Google pour introduire l’innovation, oscille entre culture d’entreprise et valeurs culturelles universelles. En étudiant le corpus des pages de rubrique du site Google, les auteurs dégagent les métaphores récurrentes. Le discours de Google s’appuie à la fois sur des valeurs politiques (notamment la démocratie) et économiques dont il joue à contre-pied pour finalement mettre en exergue deux sentiments : la croyance et la confiance, qui sont dès lors érigées en valeurs. Beaucoup reconnaissent que la société de Mountain View a imposé un nouveau modèle économique des services commerciaux du web. Ce texte tente de démontrer qu’elle cherche aussi à imposer un nouveau modèle en matière de communication d’entreprise. Comme l’expose John Battelle en 2005 dans son ouvrage La révolution Google. Comment les moteurs de recherche ont réinventé notre économie et notre culture, les deux créateurs de l’entreprise étaient réticents à l’origine vis-à-vis de la publicité classique. Ils ont inventé leur forme de communication. Cependant, le discours affiché sur le site de Google procède d’une rhétorique publicitaire masquée faite de glissements de sens, un flou sémiotique bien entretenu.

L’ouvrage que vous tenez dans vos mains ou dont vous consultez une version électronique, propose un regard souvent original mais toujours critique sur les moteurs de recherche commerciaux, les discours qui les accompagnent et les valeurs qui les sous-tendent. Il aborde sous un angle différent l’analyse de ces dispositifs, et ouvre de nouvelles questions sur la façon de les étudier.

Les sciences de l’information et de la communication proposent en général des approches holistiques des dispositifs de médiatisation, des rapports contenu-contenant et de la distorsion apportée par les usages, en ce qu’ils éclairent des intentions cachées. C’est au crible de cette approche scientifique que les universitaires réunis ici veulent analyser le phénomène Google. Après les discours de glorification, souvent repris par les médias de masse, après les dénonciations, voici venu le temps des analyses. Nous espérons que ce livre offrira aux étudiants, aux chercheurs, aux professionnels de l’information, depuis les journalistes jusqu’aux bibliothécaires, des outils pour mieux comprendre et décrypter ce qui se joue derrière le flou entretenu par les moteurs de recherche.

Mais un livre vraiment sérieux ne saurait se contenter d’une approche strictement universitaire. Les auteurs de nouvelles, notamment les auteurs de science fiction, savent aussi produire des analyses au travers de la force des situations. Il s’agit d’une respiration nécessaire et quand les éditeurs nous ont proposé de publier la nouvelle enGooglés (Scroogled) publiée dans la revue Radar en 2007 par Cory Doctorow, auteur souvent primé et coresponsable du blog Boing-Boing, nous avons évidemment accepté ce bol d’air. La déconstruction du discours de Google par le biais de la SF, loin de nous effrayer, nous incite à continuer l’étude académique pour que toute la société puisse éviter que n’advienne le cauchemar décrit dans la nouvelle.

Gabriel Gallezot & Brigitte Simonnot

Gabriel Gallezot est maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, enseignant à l’URFIST (Unité Régionale pour la Formation à l’Information Scientifique et Technique). Il est membre du laboratoire I3M (Information, Médias, Milieux, Médiations). Gabriel Gallezot est co-fondateur de l’Archive Ouverte (@rchiveSIC).

Brigitte Simonnot est maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’Université Paul Verlaine-Metz. Elle est membre du Centre de Recherche sur les Médiations. Ses travaux portent sur l’analyse des dispositifs d’accès à l’information et leurs usages, notamment dans le domaine de la formation.


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